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Manado, un paradis
Comme tout Paradis, il se mérite : environ treize heures de vol de Paris à Jakarta ou Singapour, et puis trois heures encore pour rejoindre Manado, la capitale des Célèbes du Nord ( Sulawesi en indonésien), porte d’entrée des archipels dans l’archipel… Le port de Manado lové dans une large baie fait face au volcan de Bunaken, masse noire en surface plantée de coraux multicolores sous l’eau. On y plonge pour les admirer, sur l’un des plus fameux spots de plongée d’Indonésie. De Manado, on s’envole vers Sorong : ce port de Papouasie Occidentale située sur l’île de Nouvelle Guinée permet, si l’on parvient à s’arracher aux nuits douces et festives de Tembok Berlin, la croisette locale où l’on déguste des poissons grillés au brasero dans des paillottes improvisées, d’aborder Raja Ampat, l’archipel papou aux 540 espèces de corail. Raja Ampat figure au top ten des destinations de plongée mondiales.
Si l’on préfère aborder ses îles par la mer, on peut aussi rallier les Raja Ampat en embarquant sur un pinisi, un magnifique voilier traditionnel à deux mâts et sept voiles, typique des îles Célèbes, au port de Taopere à Makassar, la capitale du Sulawesi du sud. A quai, les pinisi commerciaux remplissent encore, à dos d’hommes, leurs cales de sucre et d’épices récoltés dans les îles. -
Raja Ampat, une Nature impénétrable
Cap sur raja Ampat… Encore deux heures de bateau à louvoyer entre des îlots anonymes, souvent inhabités.
Comment imaginer, en observant ces côtes sauvages couvertes de forêts primaires, ponctuées ça et là de minuscules villages coupés du monde, que ces contrées australes sont à l’origine de la Renaissance occidentale, de l’enrichissement des cours royales engagées dans une course sans merci par convoitise pour les épices ! Comment de simples plantes, le giroflier ou le muscadier, sont-elles devenues les stars incontestées, le socle d’une civilisation en développement ? Ces petits clous de girofle, ces petits grains de poivre, cette noix de muscade, ont déchainé les rivalités entre Nations européennes engagées à partir du XVème siècle dans une course aux colonies, aux comptoirs, aux flottes navales, pour le contrôle de cette richesse génératrice de puissance et de suprématie économique. Aujourd’hui, ces îles sont le territoire de l’une des Nations les plus puissantes du monde : l’Indonésie, troisième République la plus peuplée avec ses 255 millions d’habitants, première Nation musulmane au monde, berceau d’une civilisation qui faisait, et fait encore le pont entre l’Occident et l’Asie. Le plus grand archipel du monde, traversé par trois fuseaux horaires, est le royaume des superlatifs. Et pourtant, il se présente ici sous l’apparence d’une nature impénétrable. -
Un territoire à explorer, encore et encore.
Et puis « Terre ! » : Yenpapir Beach, de sa langue de sable coralien, lêche les pieds des cocotiers bordant l’ile de Mansuar. On l’aborde au terme d’un long traveling le long de sa côte nord, après le paisible village de Kurkapa. Ici, chaque village a son ponton de pêche, voire quasiment chaque maison. « Selamat pagi » : le bonjour du matin se répand sur votre passage comme une trainée de poudre, de bouche en bouche, de sourire en sourire. Les populations des Raja Ampat mélangent les peuples aborigènes Papous et des familles venues d’autres horizons. Avant le lever du jour, le bateau met le cap sur l’île de Gam. A Saranggaï, les Papous du village coulent des jours paisibles. La glaise du sentier s’enfonce sous le couvert végétal dans un concert de chants d’oiseaux dont la présence bruisse sur votre passage. En silence, on emboite le pas du guide. L’oiseau de Paradis aux plumes voluptueuses aime se poster sur les plus grands arbres de la forêt et dominer l’univers avec panache. Si l’on se poste au pied de l’arbre en silence, il répond au cri de l’imitateur et descend à terre pour séduire tout ce qui bouge, avec ses plumes multicolores. L’oiseau déifié par la culture papou et vénéré par les belles européennes pour fournir les plus belles aigrettes sur les bibis années 30, permet aujourd’hui de faire vivre la communauté en attirant les voyageurs. Le temps est suspendu au bord des lêvres de l’appelant dont le cri, parfaite imitation, apprise et reproduite au fil des millénaires et des générations, permet à son tour de séduire l’oiseau qui se livre au regard, en toute innocence. Pendant ce temps, au village, les enfants jouent à la marelle au bord de l’eau, les hommes partent à la pêche dans leur pirogue à balancier, les moteurs s’ébrouent, le fonctionnaire hisse le drapeau national indonésien à deux pas de l’église (les Papous étant majoritairement Chrétiens et animistes).
A un jet de sarbacane, au large, se trouve un spot qui fait rêver plus d’un plongeur : un petit récif corallien où les raies manta effleurent la surface de leurs ailes gracieuses. C’est aussi le matin que l’on peut avec un masque et un tuba, se mêler à leur ballet majestueux.
Le clou du spectacle provient de la géologie du côté de l’île de Painemu: Bentangalam Kars, un archipel karstique de toute beauté dont les couleurs font pâlir les logiciels de retouche chromatique : la nature a fait mieux que l’informatique dans la saturation des turquoises et des verts qui semble irréelle, presque virtuelle. Au pied des pains de sucre volcaniques couverts de végétation aride, un ponton d’accostage se prête aux plongeons dans l’eau verte et chaude. -
De sourire en sourire
L’île de Mansuar est une base idéalement placée au cœur de l’archipel, juste en face de l’île principale de Waigeo. Les hôtels sont des lodges de plongée au confort simple, mais la présence du bois, toujours précieux, confère aux chambres un charme colonial unique. Le Raja Ampat Dive Lodge a jeté l’ancre sur cette plage bordée de palétuviers attirant dans leurs racines une multitude d’espèces de poissons dont la présence permet de s’émerveiller dès le réveil, en enfilant un masque.
A une heure quinze de vol des Raja Ampat, l’ile d’Ambon est le cœur historique de l’« archipel aux épices » , les Moluques –Maluku en Indonésien- d’où provient encore 80% de la production indonésienne : il s’agit d’un millier d’îles éparpillées sur une mer tropicale limpide, dans l’air parfumé des girofliers. Des siècles avant que les épices d’Orient titillent agréablement le palais des cours d’Europe, des marchands de Chine, de Malaisie et du Moyen-Orient avaient découvert la valeur du girofle et de la muscade et savaient qu’on n’en trouvait alors qu’aux Moluques. Après 400 ans, le plus vieux giroflier du monde se dresse sur l’île volcanique de Ternate, et donne toujours une demi-tonne de clous de girofle par an. Les Moluques sont séparées par des eaux profondes des deux continents asiatique et australien et n’ont jamais été reliées aux continents par terre. Elles forment une sorte d’Atlantide à la nature incroyablement généreuse qui s’est développée en totale autarcie, dans cette zone spéciale baptisée Wallacea. Un territoire à explorer, encore et encore.